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Mon fiancé, sa mère et moi Page 11


  Cela fait saillir ma bague de fiançailles, qui jette des feux étincelants. Je déroule le cordon.

  — Qu’est-ce qu’il te demande ?

  En temps normal, je lui aurais faxé le document pour avoir son avis, mais Vanessa travaille chez Gilson, Hecht et Trattner, et elle pourrait, comme Jack, passer à l’ennemi.

  — Des tonnes et des tonnes de choses, dis-je en feuilletant la requête, et je dois tout transmettre dans deux semaines.

  — Non, tu n’es pas obligée ! Dans le district sud de New York, en cas de requête en découverte, on dispose de trente jours pour répondre.

  — Nous sommes engagés dans une procédure accélérée, j’ai accepté de répondre en deux semaines.

  — C’est stupide, à moins que tu ne l’aies fait pour qu’il passe le moins de temps possible avec Miranda. Cette femme est une voleuse de maris. Est-ce la raison pour laquelle tu as accepté une procédure accélérée ?

  — Je ne savais pas qu’il allait déposer une requête en découverte. C’est une dissolution de société commerciale, bon sang, on ne devrait même pas plaider!

  — Dépose une requête en extension, les juges adorent que les parties utilisent toutes les ficelles de la procédure. Tu n’as qu’à demander à Jack une prolongation d’une ou deux semaines. Comme ça, tu ne seras pas obligée d’annuler tous tes rendez-vous pour essayer des robes de mariée et cela te servira auprès du juge qui verra que Jack et toi vous conduisez professionnellement.

  Mes rendez-vous pour le mariage.

  Je n’ai toujours pas de robe de mariée.

  Au secours ! Je n’ai toujours pas de robe de mariée !

  — Mais cela voudrait dire que Jack a gagné.

  — Ne sois pas ridicule, il ne s’agit ni de perdre ni de gagner, dit-elle alors que j’entends en bruit de fond sa porte claquer. C’est une question de robe de mariée ! Quelles sont tes priorités, femme ?

  — De toute façon, dans la mesure où c’est moi qui ai demandé la procédure accélérée, je ne me vois pas maintenant revenir en arrière. Le juge comprendra que je ne veux plus que les choses aillent aussi vite et il se dira que je cherche à le manipuler dans mon intérêt.

  — J’aurais aimé que ton juge soit une femme, dit Vanessa. Une femme aurait parfaitement compris que tu as besoin de temps pour préparer ton mariage.

  — Tu as raison.

  Puis Vanessa se met à me raconter son dernier blind date – qui a été épouvantable. Nous étions pourtant tellement optimistes avec celui-là! Il avait des places pour The Drowsy Chaperone, une comédie musicale de Broadway que Vanessa et moi mourons d’envie d’aller voir. Nous étions encore plus optimistes lorsqu’il lui a proposé de dîner avant le spectacle. Il lui avait annoncé qu’il y aurait un autre couple car il avait acheté les billets avec eux. Cela ne la dérangeait pas qu’ils ne soient pas seuls pour leur premier rendez-vous ? lui avait-il demandé. Après tout, le théâtre, c’est le théâtre, s’était dit Vanessa, qui lui avait répondu que cela ne la dérangeait pas le moins du monde. Elle avait mis sa plus jolie jupe avec une veste ajustée.

  Imaginez sa surprise quand, en arrivant au restaurant, elle a compris que l’autre couple en question était les parents du type avec qui elle avait rendez-vous. Et qu’ils venaient aussi au spectacle.

  — C’est amusant, surtout avec un titre pareil.

  — Est-ce que tu te moquerais de moi, par hasard ?

  Je ne peux pas m’empêcher de rire, en effet. Ce n’est pas sympa pour elle, mais imaginer la soirée qu’elle a passée est trop comique. C’est alors que mon regard tombe sur la demande de document no 13, et mon rire se coince dans ma gorge. C’est une demande de communication de tous les mails envoyés par Monique ayant un lien avec l’association commerciale existant entre elle et son mari. Ces demandes de mails sont toujours un cauchemar – cela signifie que l’avocat qui doit en faire le compte rendu est obligé de lire un par un tous les mails de son client, les analyser et juger de leur intérêt – ce qui prend trois fois plus de temps que pour un document classique car ils ont souvent des pièces jointes.

  Je pourrais objecter que le cadre est trop large – cela pourrait prendre des mois pour recenser, lire, analyser les mails de Monique –, mais le juge risque de me répondre que ce serait aller à l’encontre des intérêts du mari de Monique. Ce qui serait l’exacte vérité. Je ne vois plus qu’une chose à faire – à part me rouler par terre en pleurant comme un bébé ou appeler mon fiancé pour hurler de rage. Ou ma mère. Ou mon psy.

  Non, je ne vois qu’une seule chose à faire, et vite : courir chez Monique et m’installer devant son ordinateur.

  — Vanessa, dis-je à ma meilleure amie, je suis désolée, mais je dois y aller.

  Rubrique des potins

  Au fait, une question…

  Quel éminent homme d’affaires français, marié à un ancien mannequin devenue créatrice de mode, s’est offert une petite virée ce week-end dans les îles Caïmans?

  D’après ses amis, il avait une envie soudaine de bronzer et de se détendre, mais d’après nos sources, il est allé dissimuler des fonds avant son imminent divorce. Une séparation qui, toujours selon nos sources, pourrait faire encore plus de bruit que celles de Brad-Jennifer et d’Alec-Kim… combinées.

  12

  — Où étais-tu ? demande ma mère en poussant la porte de mon bureau.

  Je suis choquée de la trouver là pour deux raisons : la première, c’est que ma mère ne vient jamais me voir au bureau. La seconde, c’est qu’il est 20 heures.

  — Que fais-tu là, maman? dis-je en me levant pour l’embrasser.

  — Nous avions rendez-vous à 19 heures chez Amsale.

  — J’ai complètement oublié, dis-je en essayant de me rappeler quel jour on est. Excuse-moi.

  — Tu as oublié ? Tu as oublié que nous allions chercher ta robe de mariée ? demande-t-elle en posant une main sur mon front et l’autre sur le sien.

  — Que fais-tu? dis-je en me dégageant.

  — Tu dois être malade. Je vérifie si tu as de la fièvre.

  — Je vais très bien. Qu’est-ce qui te fait croire que je suis malade ? dis-je en allant m’asseoir derrière mon bureau.

  — Parce qu’il faudrait être quasiment mort pour oublier d’aller faire du shopping et surtout pour oublier sa robe de mariée !

  — Je ne suis pas malade, je suis débordée de travail.

  Ma mère contourne mon bureau et vient me prendre le pouls.

  — Brooke, depuis trente ans que tu es sur cette planète, je ne t’ai jamais vu faire passer le travail avant le shopping. Tu es en plein délire.

  Je m’enfonce dans mon fauteuil pour tenter de lui échapper.

  — Maman, je ne délire pas, je suis submergée de travail et je n’ai pas fait passer mon travail avant le shopping. Je n’ai simplement pas le choix, dis-je en désignant la montagne de documents devant moi.

  — Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle en saisissant entre deux doigts un document avec une moue dégoûtée, comme si elle avait trouvé une bête morte au fond du jardin. Est-ce que ce morceau de papier justifie le fait que tu as raté notre rendez-vous chez Amsale ?

  Je lui reprends le document des mains.

  — J’essaie seulement de te montrer à quel point je suis occupée.

  — Je le sais, tu me l’as déjà expliqué hier soir, après avoir raté ton rendez-vous chez Vera Wang.

  — Je n’y peux rien, maman.

  — Ça, c’était ton excuse de lundi quand tu as raté ton rendez-vous chez Reem Acra, dit-elle en me reprenant le document des mains et en le jetant par terre.

  — Mais qu’est-ce que tu fais! dis-je en bondissant de mon fauteuil pour récupérer les documents.

  — Et toi, BB, qu’est-ce que tu fais ? Voilà la bonne question ! me dit-elle en me prenant par le bras pour me forcer à lui faire face. A quoi penses-tu, Brooke ? Tu ne veux pas de robe de mariée ?

  — Bien sûr que si, maman, c’est juste que j’ai trop de travail.

  — Quand tu
travaillais chez Gilson, Hecht et Trattner, tu n’étais pas aussi consciencieuse. Je me souviens même que tu quittais ton travail en douce et que nous nous retrouvions chez Saks pour y passer l’après-midi. Alors maintenant que tu as vraiment de bonnes raisons de faire du shopping, tu n’as plus le temps ?

  — Je dois faire mes preuves ici, maman, tu ne comprends pas ?

  Bien sûr que non. Le job le plus long qu’elle ait eu dans sa vie, c’était chez Five and Dime. Et ce n’était qu’un job à temps partiel, après le lycée. Elle a eu la chance de rencontrer mon père très jeune et, à dix-neuf ans, elle était mariée. Et enceinte de moi à vingt-deux.

  — La seule chose que je comprends, c’est que j’essaie d’aider ma fille unique – mon seul enfant – à se marier. Et c’est cela qui est important dans la vie, pas le travail. Tu as finalement trouvé l’homme de ta vie, tu n’as pas envie de célébrer ça?

  — Pendant les trente ans que j’ai attendu l’homme de ma vie, maman, j’ai survécu et j’ai poursuivi ma carrière. Je dois honorer mes engagements. C’est toi-même qui me l’as appris.

  — Mais BB, maintenant tu l’as trouvé, alors tu peux te détendre un peu. Je ne te dis pas de quitter ton job, ni d’abandonner cette affaire importante, je te conseille simplement de t’accorder un peu de temps afin que tu sois magnifique le jour de la cérémonie, quand tu remonteras l’allée pour t’unir à l’homme de ta vie.

  — C’est le dernier soir où je travaille aussi tard, maman, je te le promets. Dès que j’en aurai fini avec tous ces documents, je recommencerai à chercher activement ma robe, dis-je en me penchant pour ramasser tout ce qui est répandu sur le sol.

  — Et tu te consacreras aussi à tout ce qui concerne l’organisation du mariage? demande-t-elle en levant le sourcil droit.

  — Promis.

  Ma mère sourit parce qu’elle croit avoir remporté la victoire. Mais la vérité, c’est que la date limite de remise des documents est demain matin, 9 heures. Même si je le voulais, je ne pourrais pas travailler davantage dessus. Une fois que je les aurai envoyés au bureau de Jack, j’aurai plus de temps pour mon mariage.

  Une fois ma mère partie, je me remets au travail. Tous les documents demandés par Jack ont été photocopiés et numérotés. La dernière chose à faire est de rédiger un résumé et de relire la requête pour être sûre que je n’ai rien oublié.

  J’ouvre un document Word pour commencer à rédiger le résumé, mais d’abord, je cède à l’un de mes petits plaisirs préférés quand je suis au travail. Je vais sur le site de mon ancienne firme www.gilsonhecht.com. Je tape d’abord mon propre nom et j’attends quelques secondes avant que la réponse ne s’affiche. Aucun résultat, normal. Je tape ensuite le nom de Vanessa et je lis son profil :

  Vanessa Taylor, Esq.

  Université de Howard

  Université de droit de New York

  Membre de la Revue juridique de NYU

  Autorisée à exercer dans l’Etat de New York,

  district nord de New York et

  district sud de New York.

  vtaylor@gilsonhecht.com

  Dans son tailleur noir de chez Theory sur un top rose pâle, elle est ravissante. Depuis qu’elle s’est coupé les cheveux, elle porte toujours de magnifiques boucles d’oreilles qui complètent son look. Sur la photo, elle a de longues boucles en or avec de petites pierres roses.

  Je vais ensuite dans la section S à la rubrique « Nos avocats ». Je sors le profil de Jack.

  Jack M. Solomon, Esq.

  Université du Michigan, mention très bien

  Président du club de théâtre

  Ecole de droit de Harvard, mention très bien

  Rédacteur en chef de la Revue

  juridique de Harvard

  Membre du tribunal fictif pour

  l’entraînement des étudiants.

  Président de l’Association du barreau étudiant

  Autorisé à pratiquer dans l’Etat de New

  York, l’Etat de Pennsylvanie, le district sud

  de New York, le district est de New York,

  le district est de la Pennsylvanie, deuxième

  et troisième circonscriptions judiciaires.

  jsolomon@gilsonhecht.com

  Son sourire sur la photo professionnelle me donne envie de sourire, moi aussi. Je cédais souvent à ce petit plaisir quand je travaillais chez Gilson, Hecht et Trattner. Maintenant, cela me donne l’impression d’être encore un peu avec eux. Juste avant de me remettre au travail, la curiosité me pousse à chercher le profil de Miranda.

  Miranda Foxley, Esq.

  Université du Texas

  Ecole de droit d’Emory

  Autorisée à pratiquer dans l’Etat de

  New York, district sud de New York

  et district est de New York.

  mfoxley@gilsonhecht.com

  J’ai du mal à supporter qu’elle soit aussi canon, limite aguicheuse, sur sa photo professionnelle. Même en tailleur et posant devant une bibliothèque remplie de bouquins de droit, elle réussit à donner l’impression qu’elle a envie de faire l’amour. Ses cheveux roux moussent vaporeusement autour de son visage, dans un style savamment décoiffé. Elle a un regard plein de sous-entendus et le chemisier que l’on devine sous sa veste a un peu trop de dentelle et est trop décolleté pour une photo traditionnelle. Je trouve qu’il ne manque au-dessus de sa tête qu’un panneau avec l’inscription : « Hé, chéri, tu as envie de te battre ? »

  — Vous êtes encore là?

  Je sursaute et, instinctivement, je me redresse et, d’un clic, j’efface la photo de Miranda aussi vite qu’un gamin de treize ans pris la main dans le sac en train de feuilleter un magazine cochon. Rosalyn Ford se tient dans l’entrebâillement de la porte de mon bureau, un sourire aux lèvres.

  — Oh, bonsoir, Rosalyn, dis-je légèrement essoufflée.

  — Vous travaillez vraiment très tard dans la nuit, je suis impressionnée.

  — Ce n’est pas comme si j’avais le choix, dis-je en désignant la requête en découverte. Ce résumé ne s’écrira pas tout seul.

  — Oh, on a toujours le choix, vous le savez bien. Mais vous avez l’air occupée, je vous laisse.

  — Excusez-moi, je ne voudrais pas vous paraître grincheuse, c’est seulement que je suis un peu stressée.

  — Je vous en prie, nous sommes tous passés par là. Et si nous déjeunions ensemble demain?

  J’ai envie de lui répondre que j’ai trop de travail pour m’offrir une pause-déjeuner, mais ce n’est jamais une bonne idée de refuser quelque chose à un partenaire. Surtout une avocate qui comme elle m’a toujours soutenue dans ma carrière.

  — Super, merci beaucoup, dis-je en esquissant un sourire.

  J’ai une pensée pour ma mère et je sais ce qu’elle dirait si elle savait que je prends du temps pour déjeuner, alors que je refuse d’en prendre pour chercher une robe de mariée.

  — Bonne nuit, dit Rosalyn en sortant.

  Je rédige un petit mail à mon assistante pour lui dire que, si ma mère m’appelle demain entre midi et deux, je suis en réunion.

  Puis je retourne à mes dossiers.

  Quatre heures plus tard, tous mes documents sont prêts, mon résumé est écrit, relu et corrigé. Je rédige une lettre d’accompagnement, je l’imprime et je la signe. Au moment de la joindre aux autres documents, j’ai l’impression qu’il manque quelque chose. Je reprends la lettre et retourne à mon bureau. Ma mère a raison, ce qui compte, c’est la vie, pas le travail. Je dois donc porter davantage attention à ma vie. Mais je suis une femme moderne et, comme telle, je peux introduire un peu de vie dans mon job.

  J’ouvre le tiroir de mon bureau et je fouille dedans jusqu’à ce que je trouve le plus rouge et le plus profond de tous mes tubes de rouge à lèvres. Je le passe sur mes lèvres, je les serre l’une contre l’autre à plusieurs reprises, puis je penche la tête et je plante un baiser appuyé sur la lettre juste à côté de ma signature.

  Puis je la glisse dans son enveloppe et je la dépose
dans la boîte avec les documents destinés à Jack. Je la ferme et j’appelle Federal Express pour qu’ils viennent la chercher.

  13

  Pendant qu’un taxi m’emmène dans la 37e , où j’ai rendez-vous avec Jack pour écouter l’orchestre qui jouera à notre mariage, je me demande comment il va réagir en voyant le baiser à côté de ma signature.

  Lorsque le taxi s’arrête devant un immeuble, pratiquement situé sur West Side Highway, ma première pensée est qu’il a dû se tromper. Ce n’est pas possible que derrière ces murs, on organise des mariages chic. C’est un immeuble des années soixante-dix de style industriel avec une porte d’entrée banale. Le garde qui est devant la porte a l’air de se ficher royalement de qui entre et qui sort. Je m’annonce néanmoins avant de me diriger vers l’ascenseur. Une fois dans la cabine, je cherche en vain le bouton pour le penthouse. La plupart des inscriptions sont effacées. J’appuie au hasard sur le dernier, qui doit correspondre au dernier étage, en espérant qu’il m’amènera à destination.

  Avec ma robe en organza et mes sandales en satin, je me trouve un peu trop habillée pour les lieux, mais une fois que les portes s’ouvrent devant moi, je change d’opinion. Je me trouve devant un magnifique hall d’entrée, décoré avec élégance et meublé d’une armoire ancienne et d’un tapis soyeux. La salle de réception qui s’ouvre devant moi est un vaste espace avec un plafond à cinq mètres de haut, où sont disposées des tables rondes recouvertes de nappes en dentelle blanche, avec une piste de danse en son centre. D’immenses lustres de cristal descendent du plafond, et sur les grandes fenêtres sont drapés des rideaux aériens qui s’écoulent en flots gracieux sur le plancher. Pourquoi n’avons-nous pas choisi un cadre comme celui-là pour notre mariage ? Un grand espace caché en plein cœur de Manhattan, assez grand pour nos deux familles et nos amis les plus proches. Je réalise soudain que nous ne nous sommes pas demandé une seule fois ce dont nous avions envie, Jack et moi. Nous nous sommes inclinés devant les choix respectifs de nos parents – un mariage en grand tralala dans un grand hôtel de New York pour les parents de Jack et un mariage traditionnel juif dans une synagogue de Long Island pour les miens.