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Mon fiancé, sa mère et moi Page 22


  — Il n’y a rien à dire, c’est fini, terminé. C’est tout.

  — Tu as vraiment envie que ce soit terminé, BB ? C’est ce que tu veux? Je croyais que tu aimais Jack ?

  Je frotte frénétiquement une tache de sauce sur un plat.

  — C’est vrai, le problème, c’est que je ne le reconnais plus, dis-je en tendant le plat à mon père avant de m’attaquer aux verres.

  — Je ne crois pas que ce soit la vérité.

  Surprise par sa réponse, je me tourne vers lui si brusquement que le verre m’échappe des mains et explose dans l’évier.

  — Oh, mon Dieu, dis-je en plongeant mes mains gantées dans l’eau chaude pour récupérer les morceaux.

  — Ça va, ça va, BB, dit mon père d’une voix douce.

  — Je suis désolée, dis-je en me mettant à pleurer.

  — Tu n’as pas besoin de t’excuser, dit-il en me prenant dans ses bras.

  Le nez contre sa poitrine, mes larmes se transforment en sanglots. Il me caresse les cheveux avec douceur en me disant que tout va s’arranger.

  Quelques minutes plus tard, après avoir abandonné la vaisselle dans l’évier, je m’assieds devant le bar pendant qu’il fait chauffer de l’eau pour préparer du thé.

  — Nous avons été des amis pendant des années, mais maintenant, après tout ce qui s’est passé, je me demande qui il est réellement, dis-je en sanglotant.

  — Tu sais bien qu’il ne t’a pas trompée avec cette Miranda tout de même ?

  La bouilloire siffle. Mon père se relève pour verser l’eau dans la théière.

  — Il n’y a pas que cela. Il y autre chose… comme le jour où nous sommes allés déposer notre liste chez Tiffany, et aussi la façon dont il s’est acharné professionnellement contre moi. J’ai l’impression d’avoir découvert quelqu’un d’autre, un Jack que je ne connais pas et que je n’ai pas envie de connaître.

  — Cela me rappelle quelque chose, tu sais, cet épisode de Twilight Zone que j’adorais, je crois que cela s’appelait Button Button. Un vendeur arrive chez un couple et leur laisse une grosse machine avec un bouton rouge sur le dessus. Il leur dit que s’ils appuient sur le bouton, ils gagneront un million de dollars, mais au même moment quelqu’un dans le monde – une personne qu’ils ne connaissent pas – mourra. Pendant toute la nuit, le couple discute. Ils ont très envie d’appuyer sur le bouton, mais ils ne veulent pas être responsable de la mort de quelqu’un, même d’un inconnu. Finalement, ils vont se coucher, mais au bout d’un moment, la femme se relève, va dans la cuisine et presse le bouton. Le lendemain, en se réveillant, elle découvre que son mari est mort pendant son sommeil. Lorsque le vendeur revient pour lui donner son argent, la femme est furieuse. Elle lui rappelle qu’il avait promis que la personne qui mourrait serait quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Et voici ce que le vendeur lui a répondu : « Croyez-vous que vous connaissiez réellement votre mari ? »

  — Ça ne se termine pas comme ça ! s’écrie ma mère en arrivant dans la cuisine. Et pourquoi y a-t-il encore de la vaisselle dans l’évier ?

  — Si, l’histoire finit comme ça, et nous avons bien le droit de faire une pause !

  — Tu as besoin de faire une pause au milieu d’une vaisselle de trois personnes, toi ?

  En un tournemain, elle termine la vaisselle, remplit le lave-vaisselle et ramasse les morceaux de verre brisé. Quand elle a terminé, elle se tourne vers nous et assène :

  — Cela ne se terminait pas comme ça.

  — Dis-moi comment ça se termine, alors, dis-je.

  L’histoire de mon père m’a perturbée et je serais assez preneuse d’une autre fin.

  — Eh bien, à la fin, le type dit : « Maintenant, je vais offrir la boîte à un autre couple, un couple qui ne vous connaît pas. »

  — Je crois que tu confonds avec les histoires courtes de Richard Matheson, dit mon père. Je suis sûr que l’épisode de Twilight Zone ne se terminait pas comme ça.

  — Moi, je crois que c’est toi qui mélanges tout. Qu’est-ce que tu es en train de lui raconter ? Tu veux qu’elle n’ait plus jamais envie de se marier?

  En voyant mes parents se chamailler, je réalise que c’est le genre de relation que je veux vivre, faite à la fois d’amour, de confiance et même de disputes insignifiantes, sachant que personne ne se couchera fâché. Toute ma vie, j’ai eu envie de vivre cela avec un homme, un mélange de complicité, de confort, d’amour et de chamailleries amoureuses. Après trente années de mariage, ce soir, quand ils iront se coucher, ils feront sans doute l’amour.

  Hum.

  Une belle relation entre deux personnes, voilà ce que je veux. C’est ce que je vivais avec Jack. Mais je ne l’ai plus. Comment partager la vie de quelqu’un qui est en réalité un inconnu pour vous ? Mon père a l’air de dire que l’on ne connaît jamais vraiment la personne avec qui on vit, mais je ne le crois pas. En tout cas, cela ne me convient pas. Lorsque je me dirigerai dans ma robe blanche vers l’homme de ma vie, je veux le connaître et savoir qui il est au plus profond de lui.

  Je croyais que c’était le cas, mais je me trompais. Je prends machinalement la petite serviette en papier sous ma tasse de thé et je la déchire en deux, puis en quatre.

  — Pourquoi fais-tu cela? demande ma mère, qui interrompt sa joute oratoire avec mon père pour se tourner vers moi.

  Je hausse les épaules car je n’ai pas la moindre idée de ce dont elle parle. Je déchire la serviette en huit.

  — Ce truc que tu fais avec tes mains. Dès que tu es nerveuse ou énervée, tu prends le premier papier qui te tombe sous la main et tu le déchires en petits morceaux.

  — Ce n’est qu’une mauvaise habitude, comme lorsque tu pianotes sur la table ou que papa devient tout rouge.

  — Tu le fais lorsque tu es nerveuse, n’est-ce pas ?

  — Je fais quoi ?

  — Déchirer.

  24

  — En général, quand tu romps avec quelqu’un, tu débarques chez moi. Je me demande si je ne devrais pas me vexer, dit Vanessa.

  Nous sommes chez Saks, au cinquième étage, et nous cherchons une tenue appropriée – c’est-à-dire sexy – pour un nouveau rendez-vous.

  — Je te rappelle que la dernière fois que j’ai vécu chez toi, tu avais insisté pour que je m’entraîne pour le marathon de New York. C’était une vraie torture! dis-je en attrapant tous les petits hauts Nanette Lepore dans sa taille.

  — Ça fait du bien de courir, ça nettoie la tête, répond Vanessa en prenant une brassée de petits hauts Marc Jacobs.

  — Puis-je vous aider? demande une vendeuse.

  Nous lui confions les vêtements que nous avons sélectionnés afin qu’elle les dépose dans une cabine d’essayage, pendant que nous poursuivons notre recherche dans la collection de Cynthia Steffe.

  — Je te rappelle tout de même que je me suis cassé la cheville, dis-je à Vanessa.

  — Ce n’était qu’une petite foulure, corrige-t-elle, en levant à peine les yeux de l’étiquette d’une ravissante robe bain de soleil verte.

  — Je te préviens que je n’ai pas l’intention de courir avec toi, dis-je en articulant soigneusement pour qu’elle sente bien ma détermination.

  — Il faut absolument que tu sortes de chez tes parents. Si tu viens t’installer chez moi, je te promets que je ne te demanderai pas de courir.

  — J’ai décidé de rester là-bas, dis-je alors que nous nous dirigeons vers les cabines d’essayage, je suis bien chez eux.

  — Malgré la présence de Mimi ? Tu la supportes ?

  — Oui.

  A ma grande surprise, c’est en effet le cas. D’habitude, je ne supporte ma mère qu’un certain temps, mais cette semaine, elle a été vraiment adorable et la cohabitation s’est très bien passée.

  — Comme tu voudras, répond Vanessa.

  Elle entre dans une cabine d’essayage et au moment de fermer la porte, elle me glisse :

  — J’ai fait une rencontre.

  — Comment?

  J’essaie d’ouvrir la poi
gnée, en vain. Je me colle au battant et je dis à haute voix :

  — Donne-moi des détails, je veux tout savoir. Attends, ce n’est tout de même pas ce type qui était si petit qu’il arrivait à peine à ta poitrine ?

  Vanessa sort de la cabine, vêtue d’une robe moulante de chez Theory qui met superbement en valeur sa silhouette mince et élancée. Elle fait une petite pirouette devant le miroir avant de répondre le plus naturellement du monde :

  — Non, il ne s’agit pas du petit homme. C’est quelqu’un d’autre.

  — Ce n’est tout de même pas celui qui t’avait dit qu’il était inadmissible d’acheter des chaussures aussi chères alors que tant d’enfants mouraient de faim en Afrique ?

  Elle virevolte avec inconscience sur ses spectaculaires escarpins Chanel de dix centimètres avant de répondre :

  — Ce n’est pas lui non plus, mais celui-là, je n’ai pas envie d’en parler. Je veux garder cette histoire pour moi, je ne tiens pas à partager.

  — Mais nous n’avons jamais fait cela! Nous nous sommes toujours tout dit!

  — C’est vrai, mais pas cette fois. S’il te plaît, n’insiste pas, dit-elle avant de retourner dans sa cabine pour se changer.

  — Comme tu veux, dis-je en essayant de dissimuler ma curiosité piquée au vif.

  Je n’ai plus qu’à l’inviter à boire un thé au restaurant de chez Saks, après nos emplettes.

  Leurs scones sont irrésistibles, elle ne résistera donc pas.

  — Je te remercie de ta compréhension. Alors et toi ? Tu as parlé avec Jack ?

  — Non, pourquoi lui parlerais-je ? Je n’ai rien à lui dire.

  — Mais si, dit-elle en apparaissant vêtue d’un petit haut Nanette Lepore tellement court que l’on voit quasiment son nombril. Vous avez des milliards de choses à vous dire.

  — Si tu portes un truc comme ça, le type avec qui tu sors risque de faire une crise cardiaque.

  — Vraiment ? Cela veut dire que c’est oui, alors. Quand le vois-tu ? demande-t-elle en souriant au miroir avant de retourner dans sa cabine.

  — Voir qui ?

  — Comment ça, voir qui? Jack, évidemment!

  — Je n’ai pas l’intention de voir Jack.

  — Il faut au moins que tu le voies pour lui rendre la bague de sa grand-mère, dit-elle en apparaissant dans une robe Marc Jacobs un peu trop grande sur elle.

  Je la regarde en silence.

  — Tu ne vas tout de même pas la garder, Brooke, ce n’est pas possible !

  Je passe derrière elle pour remonter le Zip de la robe.

  — Selon la législation en vigueur dans l’Etat de New York, je ne suis pas obligée de la lui rendre puisque Jack me l’a offerte comme cadeau de mariage avant la rupture de nos fiançailles.

  — C’était la bague de sa grand-mère ! s’exclame-t-elle en se tournant vers moi. Son grand-père l’a offerte à sa future femme après la Seconde Guerre mondiale. C’est un bijou de famille. Tu n’es pas sérieuse!

  — Je te dis simplement qu’aux yeux de la loi, j’ai le droit de la conserver. Cette bague était un cadeau assorti d’une promesse. Comme il n’a pas tenu sa promesse, je peux la garder.

  — Je ne sais pas d’où tu sors ça. Je n’ai aucun souvenir d’avoir appris un truc pareil à la fac de droit, marmonne Vanessa. Il me semble que c’est même exactement le contraire et que tu dois lui rendre sa bague.

  — Non, dis-je en secouant la tête, je ne crois pas.

  — Rappelle-moi la note que tu avais obtenue en première année, en droit de la propriété ? demande-t-elle en retournant dans sa cabine.

  — J’ai eu A…, dis-je à travers la porte.

  — Eh bien moi, j’avais eu un A, alors, j’ai raison, rétorque-t-elle.

  — L’examen de la classe du Pr. Silverman ne portait pas sur les bagues de fiançailles, cela ne prouve rien.

  Vanessa sort de la cabine dans ses propres vêtements avec une montagne de robes et de petits hauts colorés dans les bras. Elle se plante devant moi et, en me regardant droit dans les yeux, elle m’assène :

  — Ta démonstration ne tient pas debout, Brooke, pour la simple raison que c’est toi qui as rompu.

  Puis elle tourne les talons et se dirige vers les caisses.

  — Non, je ne suis pas d’accord, dis-je en la suivant, je maintiens que c’est sa faute. Il est entièrement responsable de notre rupture. Il s’est comporté d’une façon telle que je n’avais d’autre choix que de rompre. Sans cela, nous serions encore fiancés. Par conséquent, il est évident que c’est lui qui m’a poussée à prendre cette décision, ce qui fait qu’aux yeux de la loi, il est entièrement fautif.

  — Si c’est le genre de logique que tu comptes utiliser dans l’affaire de Monique, attends-toi à perdre, commente Vanessa en posant sa montagne de vêtements sur la caisse.

  — Et la façon dont il s’est comporté chez Tiffany ?

  — Ne me dis pas que tu as rompu tes fiançailles parce que tu n’as pas supporté qu’il joue avec un scanner comme avec un pistolet ?

  — Non, tu sais parfaitement que la question n’est pas là ! Mais cet épisode chez Tiffany a été le commencement de la fin. C’est là que je me suis rendu compte pour la première fois que je ne le connaissais pas vraiment. Ensuite, ça a fait boule de neige. Il s’est mis à me réclamer des dizaines de documents, puis il les a contestés…

  — C’est ce que tu as ressenti parce que c’était la première fois que vous étiez face à face dans une affaire, dit-elle en tendant sa carte de crédit à la caissière.

  — Et la façon dont sa famille a traité la mienne ?

  — C’est Jack que tu épouses, pas sa famille. Si j’avais jugé Marcus à travers sa famille, nous ne nous serions jamais mariés, crois-moi. Tu te souviens de sa sœur ? Quel surnom lui donnais-tu ?

  — A ton tour de développer des arguments qui ne tiennent pas debout ! Il me semble que Marcus et toi, vous êtes divorcés.

  — Mais tout de même…

  — Tout de même rien du tout ! Tu dis exactement la même chose que moi : il faut juger les gens d’après leur famille. Et je me souviens parfaitement du surnom que j’avais donné à la sœur de Marcus, mais je suis une dame et donc trop bien élevée pour le répéter.

  — Tu sais, Brooke, la préparation d’un mariage génère beaucoup de stress et est souvent à l’origine de nombreux conflits. Je suis certaine que la famille de Jack n’est pas aussi épouvantable que cela dans la vie de tous les jours. Il est probable qu’ils étaient aussi stressés que toi. Essaie de te dire qu’ils ne se sont pas montrés sous leur vrai jour et je suis persuadée que si tu arrives à expliquer à Jack ce que tu ressens au fond de toi, il arrangera les choses, comme toujours, dit-elle en prenant un sac.

  — C’est trop tard de toute façon, dis-je en prenant l’autre sac. Allez, viens, on va manger un morceau. Des scones, ça te dit?

  Je suis déterminée à en savoir plus sur l’homme mystérieux que fréquente Vanessa, peu importe le nombre de scones qu’il faudra avaler.

  Lorsque je rentre de mon travail, le lendemain soir, il est 23 heures, et ma mère n’est toujours pas couchée. Elle est occupée à emballer les cadeaux de fiançailles pour les retourner à leurs destinataires. Elle est vêtue d’une robe de chambre rose pâle que je lui ai offerte l’année dernière pour la fête des Mères. Elle porte toujours de jolis ensembles pour dormir, fidèle ainsi aux recommandations de sa grand-tante de « préserver la magie ».

  — Il est tard, dit-elle en levant les yeux de son ouvrage, tu veux manger quelque chose ?

  — J’ai grignoté une part de pizza au bureau, dis-je en posant mon sac dans l’entrée et en ôtant ma veste.

  — Cela me rappelle l’époque où tu travaillais chez Gilson, Hecht et Trattner.

  — Ne mentionne pas ce nom, s’il te plaît, dis-je en retirant mes chaussures avant de m’asseoir à côté d’elle.

  — Je dis seulement cela parce que tu travailles autant que lorsque tu étais dans ce cabinet. Et tu peux remarquer au passage que je
ne prononce pas son nom.

  — Merci, dis-je en attrapant le rouleau de papier collant pour l’aider à fermer une boîte de chez Crate & Barrel. Tu sais que je suis sur une très grosse affaire en ce moment.

  — Oui, tu me l’as dit, répond-elle en me tendant un feutre noir afin que j’inscrive l’adresse sur la boîte. Je sais bien que c’est important, puisque tu as sacrifié ton mariage pour cette affaire !

  — Mais je n’ai fait aucun sacrifice ! dis-je en essayant de croiser son regard.

  Elle lève lentement les yeux.

  — Je n’en ai fait aucun, dis-je de nouveau.

  — D’accord, répond-elle en retournant à son occupation, je croyais seulement que la raison pour laquelle tu avais quitté ton ancien cabinet d’avocats pour un autre plus petit, c’était que tu voulais travailler moins et avoir une vie privée.

  — Mais j’ai une vie privée !

  — Bien sûr, dit-elle en souriant de nouveau, de ce même sourire qu’elle avait lorsque j’étais petite quand il était évident qu’elle ne me croyait pas.

  Cela me donne envie de hurler : « Mais si, tout va bien! Je vais bien! » Mais je sais aussi pertinemment que cela ne prouvera qu’une chose, c’est qu’elle a raison.

  Je la connais trop bien, et revenir dans cette maison me rappelle tous mes souvenirs oubliés, toutes ces petites choses auxquelles je ne faisais plus vraiment attention ces dernières années, quand je venais les voir occasionnellement. Comme, par exemple, le fait que ma mère met un point d’honneur à ne porter que de jolies tenues d’intérieur, de ravissantes chemises de nuit avec des robes de chambre coordonnées, et n’ôte son maquillage qu’à la dernière minute, au moment de se coucher. Ou encore cette petite phrase rituelle de mon père lorsqu’il revient à la maison le soir :

  — Chérie, je suis là !

  Petite phrase qu’il prononce du reste chaque fois qu’il entre dans une pièce.

  De nombreux souvenirs me concernant me reviennent en mémoire… La petite fille que j’étais lorsque je vivais dans cette maison, la personne que je voulais devenir, les rêves, les projets que je voulais réaliser dans ma vie.