Mon fiancé, sa mère et moi Page 26
— Mais Brooke, dit-elle en se penchant sur la table pour prendre ma main, c’est bien ce que je viens de vous dire ! Vous parlez du mariage comme s’il s’agissait d’une transaction commerciale. Vous êtes persuadée que vous avez fait les bonnes démarches pour acheter une société, mais comme certains détails, que vous avez découverts depuis, ne vous plaisent pas, vous voulez annuler la transaction.
— Il ne s’agit pas de détails qui ne me plaisent pas, mais de choses essentielles que j’ignorais.
— Ce serait en effet un argument solide si nous parlions business, mais c’est d’amour que nous parlons.
Sans un mot, Monique me tend un autre mouchoir, juste à temps, avant que les larmes ne se remettent à couler à flots.
30
En sortant du bar, nous nous dirigeons vers la réception. Je la serre dans mes bras pour lui dire au revoir avant qu’elle ne rejoigne son mari pour leur fameux rendez-vous romantique. Au moment où nous nous embrassons, je perçois très distinctement le déclic d’un appareil photo. J’espère que Monique ne l’a pas entendu, car ce serait dommage que cette merveilleuse réconciliation soit gâchée.
— Vous avez entendu ? demande-t-elle.
Après notre première rencontre avec elle, Vanessa et moi nous étions demandé si Monique avait fait des injections de Botox. Eh bien j’affirme ici, en la voyant ainsi les sourcils froncés, que ce n’est pas le cas.
— Entendu, quoi ?
Peut-être qu’en les ignorant, les paparazzis s’évanouiront dans la nature…
— On va voir ce qu’on va voir ! s’exclame Monique. Un air de farouche détermination sur le visage, elle se dirige droit sur une grande colonne blanche derrière laquelle tente de se dissimuler un photographe. Elle le traîne dans le hall en le tenant par une oreille, comme une maîtresse d’école avec un élève indiscipliné. Je suis éberluée de voir que le photographe n’est autre que le vidéaste de mon mariage, Jay Conte. Je veux dire, l’ex-vidéaste de mon ex-mariage, évidemment.
— Mais que diable faites-vous ici? dis-je en me précipitant vers lui.
— Mon job, répond-il d’un air dépité, je ne fais que mon travail, comme j’ai essayé de l’expliquer à votre cliente.
— Est-ce votre job de détruire la vie des gens ? S’il vous plaît, Jay, partez !
— Brooke, intervient Monique, vous connaissez cet homme ?
— C’est une longue histoire, dis-je en rougissant, mais la réponse est oui.
— Bien, mesdames, je vais y aller, alors…, dit Jay d’une petite voix.
— Non, s’exclame Monique, restez! En fait, je souhaite même que vous rendiez compte de ma présence ici aujourd’hui et je vous autorise à me prendre en photo en train de me diriger vers l’ascenseur. Que les choses soient claires, Jean-Luc et moi avons renoué et tout va bien de nouveau entre nous. Telle que vous me voyez, je m’apprête à le rejoindre dans la suite nuptiale – oui, vous avez bien entendu, la suite nuptiale – et ne vous attendez pas à nous voir reparaître avant demain matin au plus tôt. Maintenant, vous pouvez partir, vous l’avez votre précieux potin ! Je sais que vous préférez largement faire courir des bruits sur des ruptures imaginaires, mais au moins vous avez quelque chose à vous mettre sous la dent. Monique de Vouvray est arrivée furtivement dans un grand hôtel pour passer la nuit avec son mari! J’espère que vous êtes satisfait?
Elle tourne les talons et s’éloigne d’une démarche légère, comme si elle dansait. Une fois devant l’ascenseur, elle nous fait face et, d’un geste amusé, ôte son foulard. A côté de moi, Jay ne réagit pas et, bizarrement, ne prend pas un seul cliché.
— Je voulais vous téléphoner pour parler d’un petit détail, vous avez cinq minutes ? demande-t-il enfin en plantant un cure-dent dans sa bouche.
— A votre avis ? dis-je entre mes dents d’un air excédé.
— Bon, pas de problème, je passerai un de ces quatre à votre bureau.
Il tourne aussitôt les talons et disparaît avant que j’aie eu le temps de le retenir.
Seule devant le bar, entre l’entrée de l’hôtel et la pièce où se déroule la réception en l’honneur du père de Jack, je suis à la croisée des chemins. Le discours de Monique et, surtout, ses actes prennent toute leur signification, mais je ne suis pas sûre d’être prête à pousser la porte de la salle de bal. A l’instant où je m’apprête à tourner les talons et à quitter l’hôtel, j’entends quelqu’un héler mon nom. C’est sûrement Vanessa, inquiète de ne pas me voir revenir et qui est partie à ma recherche. Mais, à ma grande surprise, je me retrouve nez à nez avec Miranda Foxley. Je fais demi-tour et je m’enfuis le plus vite possible vers la sortie.
— Brooke, s’écrie-t-elle en m’attrapant le bras, attends une seconde !
— Tu es la dernière personne au monde que j’aie envie de voir. Lâche-moi, s’il te plaît!
— Je sais que tu ne m’aimes pas, mais il faut absolument que tu entendes le discours de clôture de Jack.
— Tu sais quoi, Miranda ? Je crois que j’en ai assez entendu pour aujourd’hui.
— Ecoute, je sais parfaitement ce que Vanessa et toi pensez de moi, que je suis quelqu’un d’horrible et je reconnais que vous n’avez pas complètement tort. Mais je ne fais pas exprès, je suis comme je suis. La vérité, c’est qu’on ne choisit pas de qui on tombe amoureux.
— Parce que maintenant tu te permets, toi, de me donner des leçons sur l’amour, à moi ?
— Je sais, je sais, dans ce domaine, j’ai un palmarès assez nul, une réputation encore pire et je mérite tout ce qu’on dit derrière mon dos. J’ai fait beaucoup d’erreurs dans ma vie, mais… Ecoute, tu ne peux pas nier que l’amour vous tombe dessus quand on ne s’y attend pas et que l’on ne choisit pas la personne dont on tombe amoureuse. Je sais que tu es d’accord avec moi, je le lis sur ton visage. En ce moment, tu voudrais détester Jack, c’est peut-être le cas, du reste. Mais tu l’aimes encore et tu ne peux rien contre ça. Tu l’aimes et lui aussi t’aime. Alors que vous luttiez l’un contre l’autre à coups d’assignations, j’en avais ras le bol qu’il me parle de toi sans arrêt. Il passait son temps à vanter tes qualités, ton professionnalisme, ton humour et le plaisir qu’il avait à travailler avec toi quand tu étais chez Gilson, Hecht et Trattner, mais maintenant c’est encore pire, il tourne en rond dans son bureau comme un chien malheureux car il n’en peut plus de ton silence !
— Est-ce que tout va bien, ici ? demande Vanessa en se précipitant vers moi. Ça fait une heure que je t’envoie des mails pour m’assurer que tu es bien rentrée, mais comme tu ne répondais pas, j’allais partir pour Long Island afin de commencer les recherches avec Mimi.
Puis elle se tourne vers Miranda et ajoute d’une voix glaciale :
— Tu peux y aller, Miranda, je prends les choses en main.
— Très bien, mais Brooke, ajoute celle-ci en se tournant vers moi, réfléchis à ce que je viens de te dire. Va écouter Jack.
— Veux-tu que je te ramène ? demande Vanessa en me prenant dans ses bras alors que Miranda s’éloigne.
— Tu sais, Miranda a peut-être raison.
— Pas possible !
— Mais si, dis-je en souriant, je devrais peut-être écouter ce que Jack va dire.
— Très bien, mais je vais m’asseoir à ta table avec toi, dit-elle en me prenant par la main.
— Ne me dis pas que ton mystérieux amoureux, c’est Noah?
— Ça ne va pas ? Il est marié ! Tu me prends pour une Miranda?
— Ça va devenir une nouvelle expression, je crois.
— Oui, pour désigner les filles qui couchent avec des hommes mariés. Tout ce que tu fais avec un homme marié pourra être utilisé contre toi !
— Tu sais, je ne peux pas m’empêcher de la plaindre, dis-je pensivement à Vanessa.
— Je plains davantage les épouses trompées par leurs maris infidèles.
— Oh, ma chérie, moi aussi, dis-je soudain envahie de tristesse pour mon amie et ce qu’elle a enduré ces derniers mois. Ce qu’a fait M
iranda est horrible, et loin de moi l’envie de l’excuser. Je la plains, c’est tout. Elle ne peut pas s’empêcher de tomber amoureuse du mauvais type.
— Et toi ? Tu es tombée amoureuse du mauvais mec?
— Je ne crois pas, mais je voudrais vérifier, dis-je en poussant la porte de la salle de bal.
Quelques têtes se tournent alors que nous entrons et nous dirigeons vers la table de SGR. Je reprends ma place et Vanessa s’assied à celle qu’occupait Rosalyn. Noah me sourit et articule un silencieux : « Ravi de te revoir ! » J’articule un « moi aussi » tout aussi silencieux.
L’assistant du juge Solomon annonce au micro qu’il est l’heure pour Jack de prononcer le discours de clôture. Il se lève sous les applaudissements et prend le micro.
— Je vous remercie tous d’avoir honoré de votre présence aujourd’hui le juge Edward Solomon. Mon père. Cet homme que j’aime et que je respecte. Merci encore à vous tous d’être venus.
Toute la foule se lève et applaudit chaleureusement. Et au moment où chacun s’apprête à se rasseoir, Jack se tourne vers son père et enchaîne,
— Papa, grâce à toi, je suis devenu l’avocat que je suis aujourd’hui et également l’homme que je suis. Tu m’as appris comment me battre devant un tribunal et à plaider sans flancher ni rien lâcher contre les adversaires les plus coriaces. La seule personne que je n’ai jamais pu affronter, c’est toi. J’ai toujours cru que te respecter signifiait ne pas m’opposer à toi, mais j’avais tort. Je suis persuadé aujourd’hui qu’avoir du respect pour toi, c’est te prouver que je suis devenu l’homme que tu voulais que je sois. Fort, responsable et capable de se battre pour les valeurs auxquelles il croit.
Les applaudissements éclatent, la foule se lève, les personnalités congratulent le juge Solomon pour le discours de son fils, que chacun croit terminé, mais Jack ne bouge pas d’un pouce. Il reste fermement planté devant le micro et passe nerveusement la main dans ses cheveux bruns indisciplinés.
— Je t’aime, papa, et je te respecte, mais je ne veux qu’il y ait du homard à mon mariage, parce que Brooke n’y tient pas. Et si toi, tu y tiens absolument, je le comprendrai, mais je préférerais alors que tu ne viennes pas à mon mariage. Tu dois, toi aussi, respecter mes choix et mes décisions. J’aime Brooke Miller et je suis bien décidé à faire tout mon possible pour qu’elle revienne vers moi. Parce que j’avais peur de t’affronter, j’ai laissé échapper la meilleure chose qui me soit jamais arrivée de toute ma vie et je compte bien corriger cette erreur. Et même tout de suite.
Jack saute de l’estrade et se dirige droit vers ma table. Tous les regards sont tournés vers lui. Je me lève et je vais à sa rencontre.
Enfin !
Nous l’avons notre moment magique et romantique à souhait comme dans Petit déjeuner chez Tiffany!
— Je suis d’accord pour un règlement, lui dis-je un peu essoufflée.
— Un règlement? demande-t-il l’air interloqué, je me suis mal fait comprendre alors ?
— Non, dis-je en souriant, je veux régler les choses avec toi, tout arranger entre nous et ensuite, je veux me marier avec toi.
— Vos désirs sont des ordres, cher Maître, dit-il en se penchant pour m’embrasser.
Et notre baiser dure longtemps, longtemps. Nous nous fichons pas mal des centaines de regards rivés sur nous, de la présence de son père, qui nous observe, l’air ahuri et la bouche ouverte. Nous nous embrassons comme si nous étions seuls au monde. J’ai l’impression qu’à un moment des gens se mettent à applaudir, et lorsque les applaudissements gagnent toute la salle, je me détache des bras de Jack et je me retrouve face à une foule hilare et enthousiaste. Sur son estrade, le père de Jack applaudit lui aussi, avant de saisir le micro et de déclarer :
— Je suis très fier de toi, Jack, et de l’homme que tu es devenu. Alors, si Brooke et toi ne voulez pas de homard à votre mariage, je n’en veux pas non plus. Quant à toi, Brooke, si j’ai fait quoi que ce soit qui ait offensé ou blessé ta famille ces derniers mois – euh… et il semble que ce soit le cas –, je suis sincèrement désolé et je vous en demande pardon. Je suis très heureux que Jack ait rencontré une femme comme toi et vraiment enchanté que tu deviennes bientôt ma belle-fille. A la beauté et à l’esprit, trinquons à notre Brooke !
— Bien sûr que je vous pardonne, juge Solomon, dis-je le plus fort possible pour que ma voix lui parvienne malgré les vivats.
— Pourquoi ne m’appellerais-tu pas papa? demande-t-il alors que la foule redouble d’applaudissements.
Ce n’est pas demain la veille…
— Il me semble que je suis désormais face à un conflit d’intérêts, ajoute-t-il avec humour. Qui va marier ces enfants maintenant ?
Une voix retentit au fond de la salle, une voix qui n’a pas besoin de micro pour se faire entendre. Je me retourne, le juge Martin s’avance vers nous en criant :
— Moi!
Rubrique des potins
On ne vous a rien dit…
Qui est cet ancien mannequin que l’on a vu faire des mamours en plein après-midi à une brunette inconnue au bar d’un hôtel célèbre de NY ? D’après les témoins, elles ont bu un verre, pleuré dans les bras l’une de l’autre en jurant qu’elles s’aimaient, avant de s’éclipser furtivement dans une chambre…
Serait-ce la raison pour laquelle le mari du célèbre mannequin avait quitté le domicile conjugal il y a quelques mois ?
31
Une semaine plus tard, nous sommes tous rassemblés dans le cabinet du juge Martin pour un mariage improvisé. Après m’avoir enlevée dans ses bras à l’issue du fameux déjeuner au Waldorf-Astoria, Jack m’a annoncé qu’il ne voulait pas prendre le risque de me voir disparaître de nouveau et qu’il souhaitait que l’on se marie le plus vite possible, c’est-à-dire le mardi suivant. C’était le jour initialement choisi pour les plaidoiries dans l’affaire de Monique, mais ce rendez-vous était devenu inutile, puisque Jean-Luc et elle ont signé une transaction et fait la paix. Nous avons ouvert toutes les portes du cabinet du juge Martin, afin que les trois grandes pièces constituant l’ensemble de son bureau n’en fassent plus qu’une. La cérémonie proprement dite va être célébrée dans son cabinet, le bureau de son assistant juridique est réservé à la mariée et celui de sa secrétaire, qui se situe au milieu, fait une allée centrale très convenable. Nos familles, nos proches et nos meilleurs amis sont là, tous réunis dans le cabinet du juge. En attendant que l’on m’appelle pour que je marche jusqu’à l’autel – ou, plutôt, en l’occurrence, jusqu’au bureau du juge –, je jette un dernier coup d’œil à ma tenue. Comme le veut la tradition, je porte quelque chose de neuf, quelque chose de bleu, quelque chose de vieux, quelque chose d’emprunté.
L’objet ancien, c’est la bague de la grand-mère de Jack, qu’il avait dans la poche de son manteau à la réception. Il l’a sortie devant le Waldorf-Astoria et me l’a immédiatement passée au doigt. L’objet neuf est une merveilleuse robe de mariée signée Monique ! Hé oui, le jour où je lui ai annoncé que je ne pourrai pas acheter ma robe chez elle car cela constituerait un conflit d’intérêts, elle a pris la décision de la faire quand même et de me l’offrir en cadeau de mariage. Elle m’a fait croire que les mousselines et taffetas qu’elle drapait sur moi chaque fois que je me rendais chez elle pour travailler sur son affaire étaient destinés à tromper l’ennemi – en l’occurrence, les paparazzis ou les membres de son personnel. Pendant ce temps, elle créait la robe de mes rêves, c’est-à-dire celle qu’elle avait dessinée devant moi le premier jour. Heureusement que Jack et moi avons renoué, car je doute que l’on puisse revendre une robe de mariée.
L’objet emprunté, c’est la paire de boucles d’oreilles en rubis que Vanessa a achetée chez Moishe le jour où nous cherchions mon alliance. Elles sont du plus bel effet et scintillent parmi les mèches échappées du chignon un peu lâche que ma coiffeuse a composé pour moi. Ma grand-mère et ma grand-tante Devorah étaient satisfaites que je porte quelque chose de rouge pour éloigner le mauvais œil l
e jour de mes noces.
L’objet bleu est le porte-jarretelles bleu ciel que ma mère portait le jour de son propre mariage. Elle n’a fait aucun commentaire sur le fait qu’il est un peu juste, pour ne pas dire plus. Cette absence de réflexion doit être son cadeau de mariage personnel…
Vanessa a pris son rôle de demoiselle d’honneur très au sérieux. En plus d’avoir réussi à la dernière minute, grâce aux relations de sa mère, à obtenir quatre splendides robes bleu marine identiques signées Vera Wang, pour elle et les trois sœurs de Jack, elle a aussi insisté pour organiser toute la réception dans la galerie d’art de Millie.
— Ma mère adore les fêtes et serait vexée que tu n’acceptes pas sa proposition !
Pour m’épargner tout stress quelques jours avant mon mariage, elle s’est chargée de faire libérer sous caution mon vidéaste, qui s’était encore mis dans de sales draps. Les charges retenues contre lui sont plus lourdes que la dernière fois, car il avait filmé un couple pendant leur lune de miel à Mexico et caché des substances illicites dans sa caméra au retour. Vanessa a confié son cas à un de nos amis de la fac de droit, spécialisé dans le droit criminel. Quelque temps plus tard, elle a reçu un petit mot de mon vidéaste mafieux, l’assurant qu’il avait désormais une « dette » envers elle et qu’elle pourrait se faire rembourser quand elle le désirerait. Je ne suis pas certaine que tout cela ait été de son goût, mais, en parfaite demoiselle d’honneur, elle a rempli sa mission avec le sourire.
Note personnelle : essayer d’échanger la dette que j’ai envers Jay par celle qu’il a envers Vanessa. Il y a certainement quelque chose sur le sujet sur Internet.
— Tu es prête, BB ? demande mon père lorsque la secrétaire du juge Martin nous signale par l’Interphone que le juge est prêt.
— Barry, pour l’amour de Dieu, ne lui pose pas ce genre de question ! s’exclame ma mère. Tu veux qu’elle prenne encore une fois ses jambes à son cou? Puis se tournant vers moi, elle ajoute, allons-y !