Mon fiancé, sa mère et moi Page 4
Vingt minutes plus tard, nous concluons notre entretien et je suis officiellement engagée par mon premier client. J’espère que lorsque je vais me lever, elle ne remarquera pas l’énorme tache de café qui s’étire de mon genou à ma cheville. Discrètement, je frotte ma jupe mais je ne fais qu’étendre davantage la tache.
— Je ne vous remercierai jamais assez, Brooke, dit Monique alors que nous sortons de mon bureau. Bien entendu, je vous recommande la plus grande discrétion.
— Cela va de soi.
Je prie pour qu’elle ne m’embrasse pas pour me dire au revoir. Son pantalon ivoire n’y résisterait pas. Et ce serait vraiment dommage de perdre un client à cause d’un problème de nettoyage à sec.
— Merci, dit-elle.
Je la suis jusqu’à l’ascenseur, la main droite plaquée sur la tache.
— Encore une chose, Monique. D’un point de vue strictement professionnel, il y un détail que les partenaires voudront connaître, vous savez, dans la mesure où cela peut avoir un lien avec votre affaire.
— Oui, bien entendu, Brooke, que voulez-vous savoir ?
— Vous allez bien me faire ma robe de mariée, n’est-ce pas ?
— Et le mieux dans tout ça, c’est qu’elle va quand même faire ma robe de mariée ! dis-je avec enthousiasme à Noah Goldberg, l’un des membres fondateurs de la firme, le G de SGR.
— Elle ne peut absolument pas faire ta robe de mariée, si c’est toi qui la représentes ! dit Noah en riant.
Elle ne peut pas ? Et pourquoi ne le pourrait-elle pas ? Aurais-je dû consulter les lois de l’éthique avant de me rendre à cette réunion ? Il y a sûrement une abondante jurisprudence concernant les avocates et leurs robes de mariée !
— Mais je suis très heureux pour toi! C’est la première affaire que tu apportes à la firme !
Moi, la seule chose qui m’importe, c’est ma robe de mariée.
Ma robe de mariée que j’aime plus que tout au monde. Je l’aime plus que les Français aiment Jerry Lewis. Je l’aime plus que les Allemands aiment David Hasselhoff.
— Ma première affaire ? dis-je en essayant de gagner du temps.
— Je suis ravi pour toi, Brooke, renchérit Noah, tu me rappelles moi, le jour où j’ai eu ma première grande affaire. Et je sais que tu es prête.
Ce n’est jamais bon signe quand un partenaire vous dit que vous commencez à lui ressembler. Cela ne peut signifier qu’une seule chose : vous allez être submergée de boulot.
— Prête à quoi ?
A de nouvelles virées shopping traumatisantes avec ma mère ? Je sais que Noah me voit comme une avocate de grand talent, mais je ne suis pas prête pour ça.
— Pour prendre la direction de cette affaire.
— Quel honneur ! Je suis transportée de joie. Avec qui vais-je travailler sur ce cas ?
J’espère secrètement qu’il va nommer Esther pour m’assister, mais je ne veux pas qu’il ait l’impression que je n’apprécie pas ma chance à sa juste valeur. Quelle que soit la personne qui me sera assignée, je m’en satisferai. Cinq avocats de première année travaillent dans le cabinet – Jordan, Ethan, Spencer, Oliver et Ruby – et je serai heureuse de travailler avec chacun d’eux. Il y a aussi quatre secondes années qui seraient pas mal non plus – Stacey, Jon, Jen, ou Lee ont une bonne réputation. J’aurai même peut-être la chance d’avoir deux partenaires pour m’épauler. Et je promets de ne rien dire si ce n’est pas Esther.
— Je ne crois pas que tu aies besoin d’aide à ce stade de l’affaire, dit Noah. Tu vas démarrer toute seule, on verra après, d’accord ?
Non, pas d’accord du tout!
— D’accord, dis-je en contrôlant du mieux possible l’impression d’horreur croissante qui m’envahit soudain. Dans mon ancien cabinet, Gilson, Hecht et Trattner, une affaire pareille – un cas compliqué de litige commercial impliquant des gens célèbres – aurait été suivie par au moins quatre avocats. Et Noah veut que je suive cette affaire toute seule? Après cette entrevue, je fonce aussitôt dans mon bureau et je commence à chercher les causes de dissolution de société commerciale. Ensuite, j’envoie un mail très professionnel à Monique pour la remercier de sa confiance et pour lui demander de rassembler divers documents sur le contrat commercial qui la lie à son mari et sur d’éventuelles clauses de non-concurrence existant entre eux. Je lui annonce que je lui envoie dans la foulée un coursier pour récupérer tous ces documents.
Ensuite, j’appelle Vanessa.
Comment ?
Il me semble qu’après avoir autant bossé, j’ai droit à une petite pause, non ?
— Il n’y a pas grand-chose, me dit-elle.
— Je n’ai pas grand-chose à faire non plus, dis-je tout bas, de peur que des oreilles indiscrètes traînent dans le couloir.
— Non, je veux dire que je n’ai pas trouvé grand-chose à propos de ta recherche sur la jurisprudence concernant les robes de mariée.
— Est-ce que tu peux continuer à chercher pour moi ? dis-je en jetant des coups d’œil furtifs vers la porte de mon bureau.
— Et je facture mes heures de travail à qui?
Je ne la vois pas, mais je sais qu’elle pianote nerveusement sur son bureau.
— Fais comme tu veux, Grains de santé, par exemple, dis-je, faisant ainsi référence à l’un des plus gros clients de Gilson, Hecht et Trattner, pour lequel je travaillais presque exclusivement quand j’étais encore chez eux.
— Tu veux que je facture ton ancien client ? demande Vanessa.
— Oui, dis-je en me ratatinant derrière mon bureau quand je vois Noah passer devant ma porte ouverte, suivi d’un autre partenaire.
— Est-ce que tu réalises que c’est ton fiancé qui représente désormais les intérêts de Grains de santé ?
— C’est la raison pour laquelle il laissera courir la facturation. Vas-y.
— Ne risques-tu pas d’être radiée du barreau pour un truc pareil ?
— Mais non!
Si, si.
C’est justement la principale cause de radiation. Mais il en faudrait plus pour arrêter deux jeunes femmes en mission secrète, n’est-ce pas ?
— Ecoute, dis-je précipitamment, parce qu’il est temps que je me remette au boulot, ils ne s’en apercevront pas et, de toute façon, ils font payer leur café beaucoup trop cher. Je suis allée chez Healthy Food l’autre jour, j’ai payé mon cappuccino presque cinq dollars. Le moins qu’ils puissent faire est de m’aider à trouver une solution à ce minuscule problème.
— Et je cherche quoi ? demande Vanessa, que j’entends déjà pianoter sur son clavier.
— Essaie avec « éthique » et « robe de mariée », dis-je et mets « robe de mariée » entre guillemets pour faire une recherche sur l’expression entière et non pas sur les deux mots séparés.
— Ce n’est pas la peine de me dire comment on fait une recherche ! proteste Vanessa, vexée.
— Mais c’est toi qui m’as demandé ce que tu devais faire!
— Parce que ce que tu me demandes est stupide ! Tu veux que je trouve dans la jurisprudence une affaire où le tribunal aurait jugé qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêt ni de violation de l’éthique professionnelle dans le cas où une styliste créerait la robe de mariée de l’avocate qui la représente dans une action de dissolution de partenariat commercial.
— Exactement!
— Tous les avocats savent qu’il est impossible de trouver un cas qui corresponde exactement à l’affaire sur laquelle ils travaillent, dit Vanessa comme si elle parlait à une enfant de cinq ans. Ou à une étudiante en droit de première année.
— Quand tu m’as demandé de chercher si, oui ou non, je cite : « Rouler des pelles à une sale garce » était un cas de divorce, est-ce que je t’ai dit que tu étais débile ?
Vanessa ne répond pas, mais je l’entends pianoter de plus en plus frénétiquement sur le clavier.
— J’ai quelque chose sur un avocat qui a prélevé frauduleusement de l’argent sur le compte bloqué d’une créatrice de robes de
mariée.
— Non, cela ne marche pas. Je ne veux pas son argent, je veux seulement sa robe !
— Ah, et que dis-tu de celle-là ? cour fédérale de la Californie du Sud. Une femme poursuit en justice la créatrice de sa robe de mariée au motif que la robe qu’elle lui a dessinée n’était pas unique, alors qu’elle lui avait promis de lui créer un modèle sur mesure,
— Si cela m’arrivait, je serais terriblement vexée! Mais qui peut porter du blanc à un mariage ? Si tu vois quelqu’un en blanc à mes noces, promets-moi de le jeter dehors !
— La créatrice avait reproduit la robe en vert, explique Vanessa, et l’invitée qui s’est présentée au mariage avait la même robe que la mariée, mais en vert foncé.
— Si cela m’arrive, jure-moi de les virer!
— A part ça, je n’ai trouvé aucun cas ressemblant au tien, Brooke, je suis désolée.
— Continue à chercher, dis-je en ouvrant mon ordinateur pour chercher sur le moteur de recherche Westlaw.
Je raccroche lorsque Vanessa me dit qu’elle a autre chose à faire. Moi aussi, sans aucun doute, mais cette histoire de robe de mariée monopolise toute mon attention.
L’après-midi, j’assiste à un défilé ininterrompu de partenaires venus me féliciter et m’encourager. J’ai l’impression d’être la Reine Mère, mais en les recevant gracieusement un par un, je ne pense qu’à une chose : ma robe de mariée…
4
Est-ce malvenu de dresser la liste des invités à mon mariage, alors que je suis assise dans la salle d’attente de l’avocate qui va s’occuper du divorce de ma meilleure amie ? Pourquoi ne pourrais-je pas penser à mon propre mariage et en même temps la soutenir dans l’épreuve qu’elle traverse ? Il n’y a pas de loi contre cela, n’est-ce pas?
Bon, d’accord, c’est peut-être un peu égocentrique de ma part – je sais que Vanessa pleure la fin de son union -, mais je vais lui proposer d’être mon témoin, ce qui, j’en suis sûre, la comblera de joie. Cela dit, comme elle sera divorcée au moment de mon mariage, et donc de nouveau célibataire, je me demande si je ne devrais pas plutôt la considérer comme une demoiselle d’honneur. L’âge n’ayant rien à voir là-dedans. Mais ce n’est sans doute ni le lieu ni le moment d’aborder la question avec elle…
— Vanessa, Mme Cohen va vous recevoir, annonce l’assistante de l’avocate de Vanessa.
Vanessa prend une inspiration profonde et se lève. J’en fais autant et je la serre dans mes bras pour l’encourager.
Je sais à quel point c’est difficile pour elle d’accepter que son mariage soit fini. Evidemment, ce genre de situation n’est jamais facile, mais Vanessa doit en plus supporter la pression de sa mère et du reste de la famille, qui ne la soutiennent pas du tout dans sa décision. Ils ont tous l’air de penser que Marcus est une deuxième incarnation du Christ sur Terre, même s’il a embrassé une autre femme alors qu’il était marié. D’accord, il est mince et grand comme Jésus, il a un look éthéré et est terriblement beau. Si l’on admet que Jésus était noir, alors effectivement c’est un argument. Mais il y a quand même le problème de ce baiser. Il a suffi d’une femme et d’un baiser pour briser le cœur de Vanessa, et elle ne s’en est toujours pas remise. Peu de temps après sa séparation d’avec Marcus, j’ai dîné un soir avec sa mère et elle, et sa mère n’arrêtait pas de lui répéter :
— Reprends-toi et sauve ton mariage !
Ma mère non plus ne comprend pas pourquoi elle veut absolument divorcer. Lors d’une de nos virées « robes de mariée », elle a demandé à Vanessa :
— Comment peut-on divorcer d’un médecin? Cela se voit que tu n’es pas juive, avait-elle ajouté, parce qu’une femme juive ne divorcerait jamais d’un docteur.
— Etre l’épouse d’un médecin n’est pas aussi merveilleux que vous l’imaginez, madame Miller, avait répondu Vanessa. Cela a aussi des inconvénients.
— Comme, par exemple, avais-je ajouté, lorsqu’on est dans une foule et que quelqu’un se met à hurler : « Est-ce qu’il y a un médecin parmi vous ? », il est obligé de répondre oui.
Vous voyez comme je change habilement de sujet quand cela devient gênant ? Je ne veux pas avoir l’air de me vanter mais, en plus d’être avocate, j’ai aussi étudié la psychologie enfantine. Oh, je vous en prie, comme si vous n’agissiez jamais avec votre mère comme avec un enfant !
— Oui, il y a de ça, avait admis Vanessa, mais le plus gros problème, c’était plutôt qu’il n’était jamais là.
Voilà donc Vanessa en plein divorce. Et, dans cette épreuve, je suis la seule sur qui elle peut compter.
— Tu vas y arriver, dis-je pour l’encourager, elle acquiesce mais je vois bien qu’elle n’est pas convaincue. Tu veux que je vienne avec toi ?
— Non, répond-elle fermement, je dois le faire toute seule.
— Je t’attends ici. Et n’hésite pas à m’appeler, si tu as besoin de moi.
— D’accord.
Elle me serre la main et disparaît dans le bureau de son avocate.
Aurais-je dû insister pour l’accompagner? Vanessa est ma meilleure amie depuis notre première année de fac de droit et cela me fait de la peine de la voir autant souffrir. J’aurais dû insister. Pendant une seconde, j’hésite à frapper et à m’imposer à ses côtés, mais voir débouler la meilleure copine en plein entretien, alors que c’est la première fois que vous rencontrez celui ou celle qui va vous représenter lors de la procédure de divorce, ne serait pas du meilleur effet. Je décide donc de me rasseoir et d’attendre Vanessa dans la salle d’attente. Je vais en profiter pour étudier quelques dossiers que j’ai apportés avec moi et qui concernent la dissolution de sociétés commerciales. D’après les premières recherches que j’ai faites, il n’y a rien de plus simple, c’est sans doute pour cela que Noah a pensé que je pouvais régler cela toute seule. L’accord de partenariat commercial liant Monique à son mari est clair et parfaitement rédigé, en des termes précis et élégants qui devraient rendre cette affaire assez rapide à régler. Mes recherches sur la jurisprudence en la matière ne devraient pas me prendre un temps fou. Cela me permettra de consacrer plus de temps à l’organisation de mon mariage. Je vais confier à Vanessa la responsabilité d’être ma dame/demoiselle d’honneur principale, le reste de mon cortège sera composé des sœurs de Jack. Bien que je ne les aie pas encore rencontrées, je suis convaincue que lorsque nos familles auront fait connaissance, elles s’apprécieront aussitôt, et les sœurs de Jack et moi-même serons les meilleures amies du monde. Toutes ces réflexions m’ayant donné soif, je me lève et je traverse la salle d’attente pour me servir un café à la cafetière obligeamment tenue au chaud sur une table – après tout, en l’espace d’un court après-midi, j’ai tout compris sur la façon de régler une affaire judiciaire et j’ai organisé mon mariage. J’ai bien mérité une petite récompense.
— Ce sera plus facile de l’oublier quand vous aurez ôté cette bague, murmure une voix à mon oreille.
Je me retourne pour voir qui m’apostrophe ainsi et je découvre la quintessence de la virilité. Grand, brun et beau comme un dieu, je plonge dans son regard vert comme si j’étais hypnotisée, oubliant que je suis toujours en train de me verser un café. Et que je suis fiancée.
Le café chaud qui coule sur la table me ramène à la réalité.
Il y a un truc bizarre en ce moment entre le café et moi… La jupe que je porte aujourd’hui sort à peine du pressing après l’incident de l’autre jour!
— Moi ? Oh, non, je ne vais pas divorcer ! Je ne suis même pas encore mariée ! Je suis ici pour soutenir mon amie qui démarre une procédure de divorce.
— Oh, excusez-moi, dit-il en tournant aussitôt les talons, les épaules basses et la mine déconfite.
Ce type était vraiment canon. Je crois que je lui ai tapé dans l’œil. Je ne suis plus sur le marché et je brise encore des cœurs…
J’envoie aussitôt un mail à Jack à l’aide de mon Blackberry pour lui raconter que l’on me drague dès qu’il a le dos tourné. Il me re
nvoie un mail très détaillé m’expliquant tout ce qu’il compte me faire plus tard pour que je n’aie plus jamais envie de m’éloigner de lui, même d’un millimètre, même pour une minute. Je range mon Blackberry avec un sourire et je jette un coup d’œil autour de moi. Le type qui m’a draguée n’est pas le seul homme de la salle d’attente. Tous ceux qui attendent ici sont plutôt canons. Ce serait un bon endroit pour faire une rencontre, me dis-je, en regardant tous les beaux mecs de la salle. Aucun d’entre eux ne porte d’alliance, ils sont donc clairement célibataires. Ou ils ne vont pas tarder à l’être. C’est un lieu tout trouvé pour rencontrer un homme – je regrette de ne pas l’avoir connu à l’époque où j’étais seule. Et je le découvre alors que je suis fiancée! La vie est parfois injuste.
Je me demande si Stéphanie sort avec ses clients les plus sexys après leur divorce, une fois qu’ils sont de nouveau libres et célibataires. Quoi ? Je veux dire évidemment, une fois qu’ils ne sont plus ses clients. Je ne suis pas en train d’insinuer qu’elle agirait d’une façon contraire à l’éthique de la profession, non mais quand même !
Alors que je touille pensivement mon café, je me rends compte :1) que mes réflexions m’ont donné faim ; 2) qu’il y a un plateau de petits gâteaux juste à côté de la cafetière. Je sais que je devrais me mettre au régime dans la perspective de mon mariage, mais puisque Monique ne dessinera pas ma robe de mariée pour des raisons de déontologie, je peux peut-être m’octroyer la permission de manger un gâteau. La réalité de ma situation m’apparaît, soudain, dans toute son horreur : je n’ai plus de robe de mariée. Retour à la case départ. Et je ne sais plus où me rendre désormais, je ne peux pas retourner dans les boutiques où je suis déjà allée car la façon dont ma mère s’est comportée lors de mes différents essayages, m’a grillée dans presque tous les showrooms de la ville.
Ne panique pas, tu trouveras une autre robe.
Je croque distraitement dans mon gâteau puis, machinalement, je me mets à déchiqueter le morceau de papier qui l’entourait.
Après tout, c’est facile de trouver une robe de mariée! Des gens en achètent tous les jours, il n’y a pas de raison que cela soit aussi difficile ! Je la dégoterai certainement dans la prochaine boutique.