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Mon fiancé, sa mère et moi Page 7


  Miranda a beau ne mesurer qu’un mètre soixante-cinq, elle ressemble plus à un top model qu’à une avocate. Ses cheveux roux tombent en flots gracieux sur ses épaules et descendent le long de son dos. Instinctivement, je passe ma main dans mes boucles, me rappelant trop tard que je les ai coupées il y a quelques mois. Ce qui, de toute façon, n’a aucune importance aujourd’hui puisque j’ai fait un chignon pour paraître plus sérieuse devant le tribunal. A part cela, elle est incroyablement mince – ce qui est très énervant. Je ne comprendrai jamais comment les femmes du sud parviennent à être si minces alors qu’elles ont tant de délicieuses tentations. J’imagine que devant un poulet frit ou des biscuits au beurre, elle résiste mieux que moi. Elle porte aujourd’hui un tailleur ajusté de chez Nanette Lepore couleur saumon, avec un chemisier de soie crème bordée de dentelle. J’ai opté pour ma tenue la plus classique – tailleur gris foncé sur un pull noir à col roulé, collants opaques noirs et escarpins. Le contraste saute aux yeux. Je parierais que, sous tous ses tissus pastel, elle a des bas et des porte-jarretelles. Heureusement que mon futur beau-père connaît le juge, cela me donne un avantage sur cette bombe.

  — Jack m’a beaucoup parlé de vous, minaude-t-elle.

  Je déteste l’idée qu’elle connaisse mon fiancé. La vision de leurs deux corps nus et enlacés dans la salle de conférences me traverse l’esprit.

  — Vraiment? dis-je en tapotant mon chignon et en regrettant amèrement de ne pas avoir lâché mes cheveux.

  — Vous voyez bien qu’il n’y a pas de coquille ! Vous plaidez contre Gilson, Hecht et Trattner ! s’exclame l’huissier.

  — Oui, merci.

  Et pour moi-même j’ajoute :

  — J’ai vu.

  Notre affaire est appelée à 11 heures. Miranda et moi nous dirigeons alors vers la salle d’audience. Le juge Martin est assis derrière un grand bureau en acajou avec à sa droite des piles de dossiers. Il tourne le dos à la fenêtre et, lorsque je m’assieds, le soleil qui se réfléchit sur son crâne chauve me fait presque cligner les yeux. Il a l’air plus âgé que le père de Jack et je me demande si c’est parce qu’il était dans des classes supérieures quand ils étaient en faculté de droit ou bien si c’est parce qu’il est obèse. Il a un énorme ventre et pèse au moins cent cinquante kilos.

  Note personnelle : commencer un régime.

  — Pour commencer, dit le juge Martin, je dois vous dire, maître Foxley, que je connais le futur beau-père de Me Miller et qu’il m’a invité au mariage de son fils. Je ne pense pas que cela vous pose de problème, mais avant de poursuivre, je tiens à savoir si vous tenez à ce que je sois récusé.

  — Je ne fais aucune objection, Votre Honneur, dit Miranda avec son accent du sud, que je trouve plus prononcé que tout à l’heure.

  Je la soupçonne d’en rajouter pour charmer le juge.

  — Je sais également, poursuit Miranda, que vous et le juge Solomon étiez tous les deux à Harvard Law, promotion 1962.

  Un point pour elle. Pourquoi n’ai-je pas fait de recherche sur Westlaw sur le passé du juge Martin ?

  Est-ce qu’elle a fait des recherches également sur le père de Jack ?

  — Maître Miller, je présume que cela ne vous pose pas de problème que je sois le juge de cette affaire?

  — Bien sûr que non, dis-je en rougissant à l’évocation de mon mariage.

  D’ici là, je suis sûre que j’aurai remporté ce procès et qu’à mon dîner de mariage le juge Martin lèvera son verre et portera un toast en disant : « A la beauté et à l’esprit, à notre Brooke ! »

  Si j’étais Miranda, j’aurais envisagé sérieusement de récuser le juge Martin. Il est tout à fait évident que j’ai un avantage sur elle, car cet homme me considère déjà comme sa fille adoptive. Et, en plus, je vais plaider contre une associée plus jeune que moi. Cette affaire a l’air si facile que c’en est presque gênant et même injuste, mais après tout, je ne vais pas faire la fine bouche.

  — Bien, pour commencer, on dirait qu’il y a un petit désaccord, dit le juge Martin en jetant un coup d’œil aux documents devant lui.

  — Oui, Votre Honneur, dit Miranda, qui se redresse sur sa chaise. Mon client a décidé de contre-attaquer, au motif qu’il a aidé sa femme à monter son affaire et qu’il n’a pas l’intention de la laisser le déposséder des futurs bénéfices de la société. Ce sont ses fonds personnels qui, au début, ont été…

  — J’ignorais que nous commencerions par les plaidoiries, dis-je en interrompant Miranda avec un sourire innocent.

  Habituellement, je n’ai pas cette hardiesse, mais pour un cas similaire que j’avais traité avec Jack trois ans plus tôt, c’est l’astuce qu’il avait employée pour couper l’herbe sous le pied de son adversaire. Cela avait magnifiquement marché – l’avocat de la partie adverse n’avait plus moufté et Jack avait aussitôt obtenu les faveurs du juge. J’en attends donc le même résultat.

  J’aimerais que Jack soit là, à mes côtés. S’il était là, la Belle du sud aurait la trouille de sa vie et je suis certaine que nous obtiendrions un règlement dès aujourd’hui. La seule chose qui me manque depuis que j’ai quitté Gilson, Hecht et Trattner, c’est de travailler avec Jack. Non seulement c’est un fantastique avocat, mais la façon dont il me regardait me redonnait de la force et du courage quand j’étais crevée ou au bord du découragement.

  — Me Miller a raison, maître Foxley, dit le juge Martin. Le but de notre entretien d’aujourd’hui est de mettre en place un calendrier. L’heure n’est pas aux plaidoiries, à moins que vous ne soyez prête à un règlement dès aujourd’hui ?

  — Non, monsieur, répond Miranda, confuse, en baissant le nez dans ses dossiers.

  — Pour notre part, nous sommes parfaitement prêts à un règlement, Votre Honneur. En fait, nous nous attendions à une dissolution banale de partenariat commercial. Avec une application stricte des textes et pas du tout un procès avec controverse.

  Ououh, est-ce que je n’en fais pas un peu trop ? Cela me paraît un peu mélodramatique, non ? Il faudrait que je demande à Jack ce qu’il en pense…

  — Maître ? demande le juge Martin à Miranda.

  — Désolée, Votre Honneur, mon client est très ferme sur ce point, il souhaite un procès.

  — Très bien, alors voyons ensemble le calendrier pour la communication des pièces du procès avant l’audience, dit le juge Martin en sortant de son tiroir un gros livre relié de cuir rouge qu’il pose brutalement sur son bureau.

  — Serait-il possible de faire une petite pause ? demande Miranda.

  Sa requête est tout à fait inhabituelle. Une audience préliminaire est d’habitude si brève qu’on n’a pas le temps de faire une pause.

  Je lance un regard désapprobateur au juge pour lui montrer que je n’y tiens pas et que je souhaite poursuivre sans interruption, mais il a déjà pris mon parti une fois quand Miranda commençait à développer les arguments de son client. Je sais très bien que si je manifeste fermement mon désir de poursuivre, il me donnera raison, mais s’il ne lui accorde pas ce qu’elle demande, cela donnera l’impression qu’il me favorise. Et j’ai déjà un point d’avance sur elle, ce qui est embarrassant. Cet homme me mange déjà dans la main, mais c’est pour la bonne cause, après tout.

  — Accordé, dit le juge Martin, je vous donne cinq minutes de pause.

  Zut, il a pris mon regard désapprobateur pour un regard pour une demande d’interruption. Quoi qu’il en soit, je vais mettre ces cinq minutes à profit pour appeler Jack et lui demander des tuyaux pour m’en sortir au mieux avec Miranda. On n’a pas le droit d’apporter un téléphone portable dans l’enceinte d’un tribunal, mais Jack m’a donné une petite astuce qui consiste à éteindre son téléphone et à le placer dans une poche intérieure. D’accord, je n’ai pas non plus le droit de lui dire que Monique est ma cliente, mais je peux parfaitement l’interroger sur la stratégie à suivre en cas de litige dans un cas similaire à celui-ci. Après tout, interroger un confrère sur la façon de contrer un avocat adverse (
qui a, en outre, un accent du sud à tomber à la renverse) n’est pas contraire à l’éthique et ne va pas à l’encontre des intérêts de mon client.

  Je compose son numéro et j’entends la sonnerie familière du portable de Jack – Hello, I Love You, des Doors. J’ai la même. Bizarrement, je l’entends qui se rapproche dans le couloir voisin.

  — Que fais-tu là ? dis-je à Jack, qui tourne l’angle du couloir et manque me rentrer dedans dans sa hâte à trouver son portable avant que les services de sécurité ne lui tombent dessus pour le lui confisquer.

  — Et toi ? Que fais-tu ? demande-t-il en parlant dans le téléphone. Tu ne m’avais pas dit que tu venais au tribunal aujourd’hui.

  — Tu es censé éteindre ton portable quand tu passes le portique de sécurité, dis-je en éteignant mon propre téléphone.

  — C’est moi qui t’ai appris cette supercherie, chérie, dis-il en éteignant son portable et en m’embrassant. Tu es sur une affaire ?

  — Client top secret! dis-je dans un murmure. Si je te l’avais dit, j’aurais dû te tuer ensuite, dis-je en essayant de prendre l’attitude et la voix sexy de Calista Flockhart dans Ally McBeal.

  J’adore l’idée de flirter avec Jack alors que nous sommes fiancés. J’espère que nous continuerons ce petit jeu quand nous serons vieux et que nous aurons des cheveux gris. Oui, bon, je ne serai sans doute jamais une vieille dame aux cheveux gris. Je serai vieille, d’accord, mais j’aurais les cheveux teints et un look supernaturel, vous voyez le tableau.

  — Un client top secret ?

  Il rit et se passe la main dans ses cheveux bruns.

  — Moi aussi. Quel juge est affecté à ton affaire ?

  Mais il est inutile que je lui réponde, car, à cet instant précis, nous avons tous les deux compris ce qui se passe.

  — Oh, tu es là ! Enfin ! Nous t’attendions ! s’exclame Miranda, qui arrive sur ces entrefaites. Jack, j’ai fait durer l’audience autant que possible comme tu me l’as appris ! Brooke, je ne sais pas comment je m’en serais sortie à cette audience préliminaire si votre ami ne m’avait pas coaché la nuit dernière, dit-elle avec un rire de gorge en s’interposant entre nous. Puis, posant sa main sur l’épaule de Jack de la façon la plus naturelle qui soit, elle pousse un adorable petit soupir – comme Scarlett O’Hara quand Rhett la sauve de la ville assiégée d’Atlanta.

  Jack me regarde. Je lui rends son regard. Nous ne parlons pas. Nous n’en avons pas besoin. Apparemment, il y a bien un partenaire de chez Gilson, Hecht et Trattner sur cette affaire.

  Et c’est mon fiancé.

  7

  — Votre Honneur, vous ne pouvez pas légitimement l’autoriser à mener cette affaire contre moi. Je veux dire, comment peut-il être objectif pour son client? Il est évident qu’il est complètement, furieusement, désespérément amoureux de moi !

  Ce que j’oublie de dire au juge, c’est la vraie raison pour laquelle je demande fermement que cette affaire soit enlevée à Jack – à savoir qu’il est beaucoup plus expérimenté que moi. Pendant les cinq ans que j’ai passés chez Gilson, Hecht et Trattner, c’est lui qui m’a appris tout ce que je sais. Comment vais-je pouvoir utiliser toutes les ficelles que je connais et m’en servir contre la personne qui me les a enseignées ?

  — Je peux tout à fait être objectif pour mon client, juge Martin, dit Jack, même si je suis, complètement, furieusement…

  — Et désespérément…

  — Oui, bien sûr, ajoute-t-il en riant, et désespérément amoureux de l’avocate de la partie adverse. Mais nous sommes des professionnels et je suis certain que nous serons tous capables de faire la part des choses entre la vie professionnelle et la vie privée. En fait, nous avons travaillé ensemble durant cinq ans chez Gilson, Hecht et Trattner avant que Brooke ne nous quitte pour SGR.

  — Ah, mais quand nous étions chez GHT, tu étais fou amoureux de moi.

  — Il semble me souvenir que c’est toi qui étais folle amoureuse de moi, répond-il en se tournant vers moi.

  — Oh, je vous en prie, Votre Honneur, regardez cet homme ! Il n’est pas capable de détourner le regard de moi ! Jackie, il faut absolument que tu demandes à un autre avocat de mener cette affaire à ta place.

  — Etre en compétition avec moi te ferait-il peur? murmure-t-il, son regard rivé au mien.

  — Vous voyez bien, Votre Honneur, il flirte avec moi juste sous votre nez !

  — Cette situation est en effet assez singulière, dit le juge Martin en passant la main sur son crâne chauve.

  Singulière, c’est exactement cela. La plupart des couples qui se disputent ne disposent pas d’un juge fédéral du tribunal d’instance des Etats-Unis comme arbitre.

  — Juge Martin, je suis prêt à poursuivre cette affaire, dit Jack, si Me Miller a un problème avec…

  — C’est mon affaire, Jackie, dis-je entre mes dents serrées, renonce.

  — Miller, dit le Juge Martin, si vous voulez faire une proposition, je serai heureux de la recevoir immédiatement.

  Le juge veut que je dépose une proposition ? Immédiatement ? Je ne suis même pas préparée pour l’audience, encore moins pour me lancer dans une plaidoirie improvisée. Pas question. Plutôt mourir. Et il voudrait que j’argumente contre Jack? Evidemment, maintenant que Jack est là, il a le juge dans la poche ! Et plus moi ! Je vois d’ici le juge Martin à notre dîner de mariage : « Brooke a bien sûr fait de son mieux mais face à Jack, elle n’a pas fait le poids. A la beauté et à l’esprit, trinquons à notre Jack! »

  Impossible.

  — Non, Votre Honneur. Je suis prête à poursuivre.

  — Très bien. Dites-moi, vous deux, connaissez-vous l’expression « muraille de Chine » ?

  Miranda prend furieusement des notes alors que Jack et moi esquissons un léger sourire. Lorsque j’étais encore chez Gilson, Hecht et Trattner, Jack et moi avons traité une affaire pour laquelle nous avons dû construire une « muraille de Chine ». Bon, ce n’est pas une vraie muraille, évidemment. C’est un terme utilisé dans le monde judiciaire pour décrire un risque de conflit d’intérêts entre certains clients de la même société. Cela signifie que les avocats qui travaillent sur des cas litigieux et qui sont adversaires sont tenus au secret et n’ont pas le droit de discuter des informations dont ils disposent. Il y a quatre ans, Jack et moi représentions Grains de santé, l’un des plus gros clients de la firme, alors que notre département entreprises, défendait Vie bio, leur principal concurrent. Les deux entreprises n’étaient pas en conflit, mais étant concurrentes sur le même marché, le juge a ordonné à la firme de construire une muraille de Chine au sein de Gilson, Hecht et Trattner, pour qu’il n’y ait aucun risque de fuite d’informations.

  — Nous ne pourrons pas échanger d’information par inadvertance, avait commenté l’avocat partenaire qui représentait Grains de santé lors d’une grande réunion juste après que la firme a été engagée par Vie bio. Que chacun garde à l’esprit que la moindre information peut être capitale pour la concurrence. Est-ce que tout le monde a compris ? Cela dit, à l’expression « muraille de Chine », que je ne trouve pas politiquement correcte, avait-il ajouté, je préférerais l’expression « muraille asiatique », qui est plus appropriée.

  — C’était une plaisanterie ? avait demandé Jack en se penchant vers Vanessa et moi.

  — Je n’arrive pas à croire que nous perdions des heures dans une telle réunion, avait soupiré Vanessa.

  Pour ma part, j’étais toujours ravie d’avoir une bonne excuse pour ne pas travailler.

  — En fait, avait précisé un associé de cinquième année, je voudrais préciser que seuls les êtres humains peuvent recevoir le qualificatif d’« asiatique ». Les objets, eux, sont orientaux. Comme, par exemple, un tapis oriental.

  — D’accord avait dit le partenaire, appelons-le le « mur oriental ».

  Danielle Lewis, la chef du département entreprises, avait froncé les sourcils et murmuré quelque chose au chef du département contentieux.

  — C’est beaucoup plus choqua
nt que « muraille de Chine », avait dit une voix dans l’assistance.

  Vanessa avait levé la main pour faire une proposition.

  — On pourrait l’appeler « mur suisse », puisqu’ils sont neutres, avait-elle suggéré.

  — On n’a qu’à l’appeler « la Grande Muraille », avait proposé le premier partenaire aux autres.

  Tous avaient hoché la tête de soulagement.

  — Nous allons donc bâtir une Grande Muraille à l’intérieur de Gilson, Hecht et Trattner, et je fais confiance à tous les associés assignés aux affaires concernées pour garder pour eux les informations confidentielles qu’ils détiennent, ou vont détenir, à partir de maintenant.

  Jack, Vanessa et moi avions refusé d’utiliser cette expression, et pendant toute la durée de l’affaire, nous préférions parler entre nous du « mur habituellement connu sous le nom de “muraille de Chine” ». Et bizarrement, pendant toute cette période, j’avais tout le temps envie de manger des rouleaux de printemps.

  — Oui, monsieur le Juge, nous sommes familiers du concept, dit Jack au juge Martin.

  — Maître Miller ? demande le juge en se tournant vers moi.

  — Oui, Votre Honneur.

  Association d’idées ? Bizarrement, je pense au wok qui figure sur notre liste de mariage chez Crate et Barrel, j’espère que quelqu’un nous l’offrira…

  — Bien, voilà donc ce que j’attends de vous. Vous allez construire une muraille de Chine à la maison et vous allez vous engager à ne pas parler de l’affaire entre vous.

  — Oui, répondons-nous à l’unisson.

  C’est la première fois sans doute qu’un juge demande à deux avocats vivant ensemble de construire une muraille de Chine chez eux. Cela me donne d’intéressantes idées de décoration. Un paravent de soie dans le salon serait du plus bel effet. Quoi? Je ne plaisante pas, je prends les choses très au sérieux, au contraire ! C’est seulement que, lorsque vous êtes une avocate de premier plan et débordée, comme moi, vous êtes obligée de mener plusieurs tâches de front et devez réfléchir à la déco de votre appartement pendant que vous travaillez.